Il est acquis, tant par la doctrine que par les juges, que l’indemnisation doit respecter un certain nombre de principes, dont celui de la réparation intégrale. Or, l’application scrupuleuse de ce principe n’est pas toujours aisée selon la nature du bien endommagé. Observons de quelle manière le droit de la réparation s’est adapté aux particularités de l’automobile, bien de très grande consommation, techniquement réparable et qui se distingue par l’existence d’un véritable marché de l’occasion.
L’accident automobile est communément regardé comme un sinistre qui amène la victime et le responsable à se rapprocher de leur assureur. Or, avant toute chose, il s’agit d’un événement générateur de responsabilité, indépendamment de l’intervention d’un quelconque assureur. Ainsi, la victime pourra obtenir de l’auteur de l’accident, ou de son assureur, l’indemnisation de son préjudice en vertu des articles 1382 et suivants du code civil.
En droit commun, la responsabilité civile suppose trois conditions, qui sont le préjudice, la faute ou le fait générateur et le lien de causalité entre ce fait et le préjudice. Une fois qu’il a constaté que ces conditions étaient réunies, il appartient au magistrat, souverain en la matière, de déterminer les modalités de la réparation du préjudice de la victime.
Les postulats en matière de réparation
Le principe essentiel de la responsabilité délictuelle est celui de l’adéquation de la réparation au préjudice. La réparation doit être égale au préjudice et, de ce fait, être appropriée. « La réparation stricto sensu, c’est-à-dire la remise en état ou réparation en nature n’est pas toujours possible. Aussi le terme « réparation » s’interprète-t-il largement et englobe la réparation par équivalent, par compensation. » (Samuel Rétif, « JCP responsabilité civile et assurance », fasc. 101). La réparation du sinistre matériel consiste ainsi, dans la grande majorité des situations, à une évaluation de dommages-intérêts. Toutefois, il faut garder à l’esprit que le juge ne recherche pas l’effectivité de la réparation, mais uniquement l’indemnisation de la victime.
Dès lors, la victime dispose librement du montant de l’indemnité allouée. Elle n’a pas à en justifier l’utilisation et peut donc renoncer à réparer ou remplacer le bien endommagé. L’assureur tenu de verser l’indemnité ne peut donc pas exiger une facture acquittée (civ. 2e, 8 juillet 2004, n° 02-14.854) et la victime peut procéder elle-même à la remise en état du bien détérioré, sans que cela puisse diminuer son indemnisation (civ. 2e, 19 novembre 1975, n° 74-13.018).
Première conséquence du principe de l’adéquation de la réparation, le magistrat ne devra pas tenir compte de la gravité de la faute pour évaluer le préjudice de la victime. « Il en résulte que l’égale gravité des fautes n’implique pas l’équivalence des préjudices » (civ. 3e, 26 octobre 1988, n° 87-12.406). Il est fait totalement abstraction de l’auteur et de la victime pour ne retenir comme critère d’évaluation que le seul préjudice : « L’évaluation du dommage doit être faite exclusivement en fonction du préjudice subi » (civ. 2e, 21 juillet 1982, n° 81-15.236).
Deuxième conséquence de ce postulat, l’indemnisation doit réparer tout le dommage (civ. 2e, 8 juin 1994), c’est-à-dire remettre la victime au statu quo ante, mais rien que le dommage (civ. 1re, 22 novembre 2007, n° 06-14.174 : « La réparation d’un dommage, qui doit être intégrale, ne peut excéder le montant du préjudice. ») Autrement dit, « les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit » (civ. 2e, 23 janvier 2003, n° 01-00.200).
Ainsi, l’indemnisation a pour unique objectif de rétablir la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit (civ. 2e, 5 juillet 2001, n° 99-18.712). Cependant, si « l’objectif est clair, rien n’est dit de la méthode », souligne le professeur Laurent Aynès (conférence Cour de cassation 2007, « Risques, assurances et responsabilités »).
L’indemnisation du véhicule endommagé
Le principe de la réparation intégrale ne sera scrupuleusement respecté que dans le cas de la destruction totale d’un bien fongible neuf, puisqu’il oblige le responsable à le remplacer (ou à supporter le coût de son remplacement) par un autre bien, parfaitement identique. Dans tous les autres cas, « le principe n’est que plus ou moins approché et ne peut donc être satisfait qu’au prix de sa reformulation » : il ne signifie plus que les choses doivent être remises dans leur état antérieur, mais que la victime doit être replacée « aussi exactement que possible dans la situation où elle se serait retrouvée si le dommage n’était pas survenu » (Vincent Heuzé, directeur de l’Institut des assurances de Paris, conférence Cour de cassation 2005, « Risques, assurances et responsabilités »).
Comme l’écrivait Jean-Louis Bergel, « l’évaluation n’est pas une science exacte ». Les méthodes d’évaluation de l’indemnisation sont donc aussi variées que les préjudices à indemniser. Et, « l’évaluation des dommages-intérêts [n’étant] pas une question de droit, mais de fait, […] les juges du fond sont souverains » (Laurent Aynès, conférence Cour de cassation 2007, « Risques, assurances et responsabilités »).
Ainsi, les juges sont libres de choisir la méthode d’évaluation la mieux adaptée au dommage qu’ils cherchent à réparer. Le juge n’est ainsi lié par aucune méthode de calcul (civ. 2e, 23 nov. 1988, n° 87-16.965). Toutefois, si les juges n’ont pas à préciser les éléments qu’ils utilisent pour évaluer le préjudice, ils ne peuvent pas cependant fixer le préjudice à une somme forfaitaire sans risquer la censure de la Cour de cassation (civ. 3e, 3 juin 2004, n° 03-11.475 ; civ. 2e, 16 octobre 2008, n° 07-18.865).
On distinguera selon que le véhicule est détruit, ou seulement détérioré.
Le véhicule est détruit
L’indemnisation sera égale à la somme nécessaire au remplacement de la chose. Cette solution résulte d’une position constante de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui énonce que « la réparation intégrale d’un dommage causé à une chose n’est assurée que par le remboursement des frais de remise en état de la chose ou par le paiement d’une somme d’argent représentant la valeur de son remplacement » (civ. 2e, 4 février 1982, n° 80-17.139). Cette dernière exclut comme base d’indemnisation la valeur vénale (civ. 2e, 8 mars 2006, n° 04-14.946), exception faite du cas où la chose n’a pas vocation à être remplacée (civ. 2e, 14 janvier 1999, n° 96-17.562, s’agissant du matériel d’une usine incendiée alors qu’elle était inexploitée depuis dix-sept ans) ou lorsque le bien était destiné à la vente (Com., 11 juillet 1983, n° 81-16.835).
En tout état de cause, concernant le véhicule endommagé, le juge s’attachera à vérifier que la valeur de remplacement chiffrée par l’expert en automobile permet effectivement à la victime d’acquérir un nouveau véhicule présentant les mêmes qualités et le même état général que celui qui a été détruit. Ainsi, en raison de l’existence d’un véritable marché de l’occasion, le juge parvient à appliquer scrupuleusement le principe de la réparation intégrale en évaluant au plus près la valeur de remplacement du véhicule, sans se référer systématiquement à la valeur à neuf des biens endommagés. Peu de secteurs d’activité offrent au juge (et à l’assureur !) cette opportunité d’adapter le montant de l’indemnisation à un bien véritablement équivalent à celui qui a été endommagé.
Le véhicule est détérioré, mais peut être remis en état
Le principe de la réparation intégrale voudrait que l’indemnité représente le coût des pièces et de la main-d’oeuvre nécessaires à cette remise en état. Toutefois, que se passe-t-il lorsque les frais de remise en état du véhicule excèdent la valeur de remplacement du véhicule ? La deuxième chambre considère que la victime ne peut prétendre qu’à la valeur du remplacement du bien endommagé, plafonnant ainsi son indemnisation à cette valeur, qu’elle définit comme « le prix de revient total d’un véhicule d’occasion de même type et dans un état semblable » (civ. 2e, 12 février 1975, n° 73-13.263). On notera qu’au contraire la chambre criminelle laisse aux victimes la liberté de choisir le mode de réparation le plus adéquat sans retenir le plafonnement à la valeur de remplacement (Crim., 4 novembre 1987, n° 87-80.734).
Mais que compare-t-on exactement lorsque l’on vérifie si le coût des réparations est supérieur à la valeur de remplacement ? À ce jour, l’expert et le juge prennent en considération le coût d’une réparation par remise à neuf des pièces endommagées à remplacer. Or, on se souvient que l’indemnisation ne doit pas enrichir la victime. Une partie de la doctrine et certains droits étrangers ont ainsi jugé nécessaire d’appliquer un coefficient de vétusté lors de l’évaluation du coût des pièces de rechange pour éviter cet enrichissement. Mais de façon constante, la Cour de cassation rejette la déduction d’un coefficient de vétusté, qui obligerait la victime à supporter injustement une dépense supplémentaire rendue nécessaire par la faute d’un tiers (civ. 2e, 16 décembre 1970, n° 69-12.617). Elle refuse ainsi d’appliquer un coefficient de vétusté aux pièces remplacées sur un véhicule accidenté (civ. 2e, 8 juillet 1987, n° 85-14.052).
La jurisprudence refuse par ailleurs de faire supporter à la victime le risque lié à la vente de l’épave. Le responsable ne pourra pas réduire l’indemnisation de la victime du montant de la valeur de l’épave (civ. 2e, 4 février 1982, préc.). Notons enfin que les articles L. 327-1 à L. 327-3 du code de la route obligent l’assureur à proposer le rachat de l’épave lorsque le véhicule est indemnisé en perte totale par application de la procédure VEI.
La question de la pièce de réemploi
L’impossibilité d’appliquer un abattement pour vétusté ne fait pas obstacle à toute réflexion sur le sujet. Les assureurs s’interrogent en effet, pour des raisons économiques évidentes, sur la possibilité de se référer à d’autres pièces que les pièces d’origine distribuées par les constructeurs automobiles. Les enjeux sont de taille quand on sait que la valeur des pièces de rechange représente la moitié de la facture de remise en état du véhicule.
Si, initialement, on pouvait avoir tendance à considérer qu’il y avait, d’un côté, les pièces neuves du constructeur et, de l’autre, les pièces d’occasion, aujourd’hui, force est de constater que le marché est devenu sensiblement plus complexe et structuré. Véritable enjeu économique des réseaux de marque, mais également des indépendants de la réparation et des recycleurs de l’automobile, ce marché recouvre aujourd’hui une grande diversité de catégories de pièces. Il est donc possible d’imaginer qu’à l’avenir, les experts seront tentés de se référer (au moins pour le remplacement de certaines pièces et pour les véhicules ne bénéficiant plus d’une garantie constructeur) aux pièces neuves de qualité équivalente fabriquées et certifiées par les équipementiers, voire, pour les véhicules plus anciens, aux pièces d’occasion de réemploi. Ces deux catégories de pièces ont en effet l’avantage non négligeable pour l’assureur de présenter un coût de commercialisation inférieur à celui de la pièce d’origine distribuée par le constructeur.
Toutefois, de nombreux obstacles subsistent encore. L’évaluation du préjudice sur la base de pièces de réemploi est inenvisageable dès lors qu’il n’existe ni bases de données complètes référençant ces pièces ni outils de chiffrage adaptés. Et si les professionnels du recyclage automobile semblent, actuellement, travailler activement au développement de logiciels de chiffrage, il reste de toute façon un dernier obstacle à franchir : garantir un véritable approvisionnement des réparateurs.
Car, si la valeur de remplacement du véhicule endommagé n’est pas calculée sur sa valeur à neuf, cela tient essentiellement au fait que le marché du véhicule d’occasion est aujourd’hui une réalité. Or, concernant la pièce de rechange, le marché de l’occasion est encore trop virtuel pour que le respect du principe de la réparation intégrale conduise l’expert à tenir compte de la valeur de la pièce de réemploi.
L’indemnisation des préjudices annexes
La privation de jouissance
La victime pourra en outre prétendre à une indemnité compensant l’immobilisation réelle du véhicule (civ. 2e, 8 juillet 1987, n° 85-14.052) entre la date de l’accident et la date de réception des travaux de réparation ou la livraison d’un véhicule de remplacement (CA Nîmes, 2 juillet 1993). La période d’immobilisation indemnisée ne devrait pas dépasser la durée normale de remise en état du véhicule (CA Aix-en-Provence, 16 février 1976). Cependant, les tribunaux retiennent de plus en plus souvent les délais réels d’immobilisation (TI Caen, 9 décembre 1987, GP 1988 som. 202).
La réparation la plus appropriée serait le prix de la location d’un véhicule de remplacement. Sur ce point, il arrive que les magistrats effectuent un abattement de la facture pour tenir compte des économies réalisées sur le véhicule accidenté pendant la durée de son immobilisation (TI Montélimar, 10 avril 1986, JA 1986 p. 472). Mais la victime, en dehors de toutes considérations professionnelles, est en droit de louer un véhicule durant la durée de l’immobilisation. Elle n’a pas à justifier de son train de vie automobile (TI Caen, 9 décembre 1987, préc.), tout particulièrement si le véhicule est utilisé à des fins professionnelles.
La dépréciation du véhicule
Le vendeur d’un véhicule étant tenu d’informer son acquéreur de l’historique du bien vendu, une indemnité pour dépréciation pourra lui être allouée en plus du prix de la réparation. En effet, même réparé dans les règles de l’art, un véhicule accidenté aura une moindre valeur qu’un véhicule qui ne l’aurait pas été (civ., 6 octobre 1966, D. 1967. 5) tout particulièrement quand il s’agit d’un véhicule de luxe (CA Paris, 26 mars 1963, D. 1963. 487). L’indemnité de dépréciation est alors destinée à compenser la perte d’une chance – préjudice futur mais certain – de vendre le véhicule au même prix qu’un véhicule n’ayant pas subi de grosses réparations (TI Marseille, 18 octobre 1999).
Dans le cadre d’une procédure VGE (sur ce sujet, voir l’article page 23), la sécurité du véhicule étant, après travaux et avant sa remise en circulation, garantie par un expert en automobile, on peut penser que cela pourrait devenir un élément de nature à retirer sa justification à ce poste de préjudice.
La TVA
L’indemnisation doit être entendue TVA comprise, cette taxe ayant été acquittée par la victime pour acquérir la chose ou obtenir le service dont le dommage l’a privée. La TVA fait partie de la valeur perdue par la victime, dès lors qu’elle n’est pas en mesure de la récupérer, qu’elle fasse ou non réparer le véhicule (civ. 2e, 21 octobre 1987, n° 86-12.623). Le taux à retenir est celui applicable au jour du jugement et non à celui de la réparation (civ. 3e, 25 septembre 2002, n° 00-21.614).
Au contraire, si la victime est assujettie à la TVA (artisan, commerçant ou entreprise bénéficiant du régime de l’article 271 CGI), le règlement sera effectué HT, dans la mesure où la TVA est fiscalement déductible (com., 11 juillet 1983, n° 81-16.835).
Les autres frais satellites qui devront être indemnisés
La victime pourra en outre être indemnisée des frais de remorquage (crim., 17 décembre 1969, D. 1970. 190) si toutefois le véhicule est remorqué dans un garage proche de l’accident, ainsi que des frais de gardiennage, facturés par le professionnel dépositaire. La victime pourra également réclamer l’indemnisation des honoraires d’expertise rendus nécessaires pour la remise en circulation du véhicule, notamment dans le cadre de la procédure VGE-VEI.
En cas de destruction de son véhicule, le propriétaire pourra également être indemnisé des frais de remise en circulation (certificat d’immatriculation et vignette si le véhicule est concerné) s’il a dû remplacer le véhicule détruit. Il est également en droit d’obtenir de l’auteur du dommage le remboursement des échéances du prêt contracté pour l’acquisition du véhicule, rendues directement exigibles par l’effet de l’accident, et dont il a dû s’acquitter auprès de l’organisme de crédit (civ. 2e, 19 novembre 1997, n° 95-21.026).
Si le principe de la réparation intégrale trouve sa limite dans la valeur de remplacement du véhicule, c’est tant pour des raisons économiques visant à éviter tout enrichissement de la victime, que pour des raisons techniques, une remise en état du véhicule à tout prix risquant de compromettre la sécurité qu’on doit en attendre. Or, au lendemain de l’entrée en vigueur de la procédure VGE, on ne peut ignorer l’importance que revêtent pour les pouvoirs publics les objectifs de sécurité routière.